L'histoire
Une jeunesse difficile
Jules
Bonnot naît dans un petit un village du Doubs.
A cinq ans il perd sa mère. Puis son frère aîné se suicide en se
jetant dans une rivière. Son père, ouvrier fondeur, analphabète
et ivrogne, assure seul son éducation. Chez Bonnot, c’est Zola…
A 14 ans, il entre dans la vie active mais, de nature rebelle,
il entre rapidement en conflit avec ses patrons successifs.
Renvoyé, au chômage, il mène une mauvaise vie qui commence à
remplir son casier judiciaire. A 20 ans il se marie et a un
enfant mais sa femme
Sophie
Burdet le quitte quelques années plus tard
pour un syndicaliste en emportant l’enfant. Bonnot se met alors
à fréquenter les « anarchistes », une tendance politique
révolutionnaire qui prône la « propagande par le fait », les
attentats et le chaos comme base à la renaissance d’un monde
meilleur et plus fraternel, et qui a fourni quelques condamnés à
la guillotine dans les années 1890.
Vous le comprenez, Bonnot est l’archétype de celui dont on
dirait aujourd’hui qu’il « a la haine » : en échec scolaire,
social, conjugal, révolté contre la vie, contre la société et,
de plus, frappé par le sort (la petite fille qui lui naît en
1904 meurt quelques mois plus tard).
Bonnot a des aptitudes à la mécanique et il est embauché en 1907
aux usines
Berliet où il passe son permis de conduire... Il
s’établit alors comme garagiste indépendant. Il exerce en fait
l’activité de receleur de voitures. Il doit fuir en 1909 en
Angleterre et occupe quelque temps l’emploi de chauffeur de… Sir
Arthur Conan Doyle, père de
Sherlock Holmes !
L'engagement anarchiste
De retour à Lyon en 1910, il se lance dans
le cambriolage au chalumeau et fait partie intégrante du
banditisme, milieu où traînent divers marginaux et déclassés
pour lesquels l’ « anarchisme » fait office d’idéologie
justificatrice à leur soif d’exactions et de violence. Il se lie
là avec
Octave Garnier et le
pittoresque
Raymond Callemin.
Callemin est né en 1890 à Bruxelles. Il a vécu une jeunesse
pénible et a connu un amour passionné mais malheureux,
platonique et jamais consommé, avec une jeune émigrée russe :
tout cela a profondément marqué sa personnalité. C’est un
cérébral, un intellectuel de la révolte. Callemin est convaincu
que la vraie révolution à accomplir ne sera ni économique ni
sociale, mais intérieure et personnelle, il incarne le courant «
naturaliste » libertaire qui prône l'hygiène corporelle comme
remède à tous les maux et rejette la civilisation urbaine comme
source de dépravations. Ses acolytes, impressionnés, l’appellent
« Raymond-la-Science »...
Il y a presque 91 ans, donc, Bonnot et Callemin commencent leurs
sinistres exploits. Mais la suite des évènements ne les voient
pas seuls car Bonnot entraîne derrière lui un grand nombre de
gibiers de potence.
Meurtres et braquages
Le 2 janvier 1912, Bonnot et sa bande
assassinent au marteau et au couteau un octogénaire de Thiais,
M. Moreau, et sa gouvernante, Mme Harfeux. Ils fuient en
Belgique où, pour se procurer une voiture, ils perpètrent un
double meurtre à Gand. La cavale continue : le 25 février, rue
du Havre à Paris, Garnier assassine un agent de police.
Mais
la police traque désormais les malfaiteurs : la Sûreté arrête
Dieudonné le 27 février 1912, elle voit en lui le quatrième
homme de la rue Ordener car le garçon de recette survivant le
reconnaît formellement. Et le filet se resserre toujours,
d'autres complices de la bande se retrouvent derrière les
barreaux. Mais les forfaits des rescapés continuent. Le 29
février, un boulanger cambriolé est abattu. Les photos de Bonnot
et de ses complices s’étalent maintenant dans les journaux.
Marginaux de la pègre, sans secours, ils sont acculés à la
fuite, à ce que nous appellerions aujourd’hui les « squat » et
aux méthodes les plus extrêmes.
Le 25 mars 1912 au petit matin, Bonnot, Callemin et trois autres
complices attaquent les occupants d’une voiture de luxe (une
confortable
De Dion-Bouton) : un mort et un blessé. Avec le
véhicule, les anarchistes dévalisent dans les heures qui suivent
la Société générale de Chantilly. Deux morts et un blessé.
L’émotion est immense. La SG offre 100 000 francs de récompense.
La police met 200 inspecteurs sur l’affaire. Il faut que cesse
le carnage.
La fin de la Bande
Les journaux exigent des résultats de la
part de la police. Celle-ci fait feu de tout bois : ses
informateurs lui livrent la plupart des complices qui sont
arrêtés petit à petit. Raymond-la-Science l’est enfin le 7 mars.
Mais Bonnot, lui, s’échappe toujours.
Pas pour longtemps.
Le 24 mars 1912, vers 6 heures du matin, le sous-directeur de la
Sûreté, Jouin, et deux de ses hommes entrent dans la planque où
ils ont localisé Bonnot, au Petit-Ivry. Celui-ci tire sur Jouin,
le tue, blesse gravement l'inspecteur Colmar et prend une
nouvelle fois la fuite.
Mais il est lui-même blessé et reconnu par un pharmacien de
Choisy-le-Roi, en banlieue parisienne. La piste mène alors au
pavillon d’un anarchiste nommé
Dubois.
Le dimanche 28 avril 1912 au matin : la police encercle la
maison de Choisy-le-roi et y pénètre. Dubois est tué dans un
échange de coups de feu qui conduisent Bonnot riposter. Il n’y a
pas à l’époque de « forces spéciales », de RAID, de GIPN ou
autre GIGN : les policiers qui ripostent sont en
costume-cravate-chapeau et, face à la situation, on donne ordre
d'acheminer le régiment d'artillerie stationné à Vincennes et
deux régiments de gardes républicains ! On fait amener également
une mitrailleuse lourde tandis qu’un cordon de tirailleurs cerne
maintenant la maison autour de laquelle s’attroupent plusieurs
milliers de personnes. Bonnot, ne pouvant en réchapper, vendra
chèrement sa peau.
On décide de dynamiter la maison pour l’investir. Bonnot,
rapidement, rédige une sorte de testament dans lequel il
innocente Dieudonné du crime de la Société Générale de la rue
Ordener. Après deux explosions, la police pénètre dans le
bâtiment et débouche dans la chambre. Bonnot tente de se
protéger des coups de feu derrière un matelas. Il est finalement
abattu.
Mais ce n’est pas fini car la police traque les deux derniers
membres la bande à Bonnot, Garnier et
Valet. Quelques jours plus
tard, ils sont repérés dans un pavillon situé à
Nogent-sur-Marne. Soutenus par deux compagnies de zouaves et au
terme de 9 heures de fusillade, les policiers abattront
finalement les deux hommes.
Plusieurs anarchistes, au rang desquels Raymond-la-Science,
seront guillotinés. Dieudonné, également condamné à mort, sera
finalement gracié par le
président Poincaré et envoyé au
bagne où le
grand reporter Albert Londres le rencontrera.
Il sera libéré en août 1927.
Epilogue
Ces faits divers tragiques sont, à bien y
réfléchir, simplement sordides. Pourtant Bonnot est bien
l’ancêtre idéologique direct d’Andréas Baader (terroriste d’extrême-gauche
allemand des années 70) autant que de Jean-Marc Rouillan ou
Nathalie Ménigon (terroristes d’Action Directe, au début des
années 80 en France) qui, eux aussi, marginaux et violents, s’en
prirent aux symboles du capitalisme et de l’autorité.
Mais Bonnot est aussi, et avant tout, l’archétype de ceux qui,
dépourvus de repaires éducatifs, élevés dans l’ignorance et la
violence, marginalisés socialement par le déclassement et la
pauvreté, poussés par une révolte légitime contre les injustices
bien réelles de ce bas monde, adhèrent à une idéologie qui leur
promet un avenir ou un monde meilleur afin de les affranchir de
tout scrupule…
Il y en a encore quelques uns en ce monde, n'est-ce pas...?
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