Ce physicien au génie fulgurant est comparé à Galilée ou Newton. Mais à 31 ans, il décide de disparaître et se volatilise, laissant le monde de la physique orphelin de sa lumière.
Aujourd’hui, encore l’énigme de sa disparition demeure…

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Ettore MAJORANA

Né le 5 août 1906 à 20h15 à Catane Italie (au n°251 de la via Etnea)
Source : ouvrage « En cherchant Majorana », page 27 du physicien Etienne Klein - éditions Equateurs Essais / Flammarion 2013

Disparu au soir du 26 mars 1938 sans que l’on sache ce qu’il est devenu.

 

 

Scientifique visionnaire, il publie en 1937, un article qui évoque l’existence de particules d’un genre nouveau, qui pourraient résoudre l’énigme de la matière noire de l’univers. Mais ce théoricien, aux dons exceptionnels, vit en étranger dans le monde des humains. Un jour, il annonce sa disparition qui, à ce jour, demeure encore un mystère.

 

« Le grand consultant pour les problèmes difficiles »

C’est ainsi que ses camarades de pensionnat surnomment Ettore qui affirme très tôt une nette supériorité sur ses maîtres, avec parfois des situations cocasses. Ainsi, lors d’un cours d’algèbre, le professeur Francesco Severi se lance dans la démonstration d’un théorème qui remplit le tableau noir. Ettore glisse à ses camarades que l’affaire, mal engagée, n’aboutira pas. Aussitôt toute la classe attend la chute.

Un instant plus tard, Severi, rouge et confus, se trouve bloqué. Alors, un murmure s’élève : Majorana l’avait prédit ! Le professeur fait venir le « surdoué » au tableau. Ettore efface rapidement tout ce qui est écrit et note la bonne démonstration. Humilié publiquement le professeur ne félicite pas ce génie précoce et ne cherche pas à le connaître davantage.

 

Issu d’une lignée prestigieuse et noble, faite d’ingénieur, juriste, physicien, recteur, député, ministre… Ettore est le quatrième d’une fratrie de cinq enfants.

Dès quatre ans, il montre des dons extraordinaires en arithmétique et quand la famille reçoit de la visite on lui donne de complexes calculs à faire. Le prodige part s’isoler sous une table et en ressort avec toujours la bonne réponse.

 

Ce génie solitaire habite un univers fait d’équations et de calculs scientifiques.

Par tempérament, il est un être secret, solitaire, à l’esprit scientifique tout accaparé vers l’intériorité d’une réflexion approfondie. Mais, s’exhiber tel un singe de foire est ce qu’il y a de plus étranger à sa nature.

Pour cet esprit hors normes, outre une réelle part d’orgueil naturel, il y a nécessité de s’isoler pour nager en eaux profondes et mystérieuses dans une recherche toute dédiée à la science. C’est son milieu de prédilection où il semble voir naturellement clair mais restituer cela aux autres lui paraît un jeu d’enfant sans intérêt.

Insulaire parmi les continentaux, Sicilien chez les Romains, il vit pour les équations. A tout instant. Et quand surgit une nouvelle idée ou la solution d’un problème difficile ou l’explication de résultats jusqu’alors incompréhensibles, Ettore, fumeur invétéré, sort de ses poches un crayon et un paquet de cigarettes où il note des formules. Puis, débarqué du tramway, et tout absorbé par ses pensées, tel le savant Ampère, il s’en va tête baissée, la mèche en bataille, jusqu’à l’Institut où il explique son idée à d’autres physiciens comme Fermi ou Rasetti.

Plus tard, sa communication se fera toujours avec une grande économie de mots, allant à l’essentiel avec concision, élégance et sobriété. Comme des éclats furtifs de lumière qu’il ramènerait des ténèbres insondables.

Ainsi le 13 janvier 1938, quand Ettore, ayant obtenu la chaire de physique théorique à l’université des sciences de Naples, fait son discours inaugural, il s’exprime à voix basse devant les autres professeurs.

Et dans ses cours, il chuchote plus qu’il ne parle, si bien que ses élèves doivent s’asseoir au tout premier rang et tendre l’oreille pour le comprendre. Il remplit le tableau de formules mathématiques avec une telle aisance et une telle vitesse que certains étudiants ont du mal à le suivre.

Même dans son physique, il ne paraît pas habiter le monde des humains : mince, la démarche timide et incertaine, le teint foncé, les joues creusées, les yeux vifs et pénétrants qui s’éclairent sur un univers hors du commun des mortels.

Sa vie durant, il est insensible aux charmes féminins et nul ne lui connaît une quelconque liaison. Si la communication avec ses congénères lui est très difficile, le monde des sentiments amoureux est une équation qu’il ne résoudra jamais !

 

Il avait des dons qu’il était le seul au monde à posséder à son époque !

Un génie de la trempe de Galilée et de Newton !

C’est ce que dira de lui Enrico Fermi, physicien, spécialiste de physique nucléaire et Prix Nobel en 1938.

Mais Ettore Majorana, trop en avance sur son temps comme le mathématicien Evariste Galois, ne deviendra une référence standard pour les physiciens que dans les années 1960.

Soit près de trois décennies après sa disparition !

 

Selon la tradition familiale, l’enfant Ettore est instruit par ses parents jusqu’à l’âge de 9 ans. Il est alors envoyé en pension à Rome chez les Jésuites, puis avec sa fratrie, il fréquente le lycée Torquato Tasso, très réputé dans la capitale. Bachelier à 16 ans, il entreprend des études d’ingénieur, comme son père, à l’université de Rome. Il intègre la faculté de physique en janvier 1928 où la chaire de physique est occupée depuis 1926 par Enrico Fermi.

A la suite de sa première rencontre avec ce physicien, qui travaille alors sur le modèle théorique de l’atome, Majorana fait en une nuit et avec son seul cerveau, un tableau complet, que Fermi avait mis une semaine à réaliser, de façon incomplète et en s’aidant d’une machine à calculer mécanique.

Bientôt Ettore décide de se consacrer à la physique atomique, qui selon lui, permet d’aller jusqu’à l’ultime racine des faits naturels. Il abandonne ses études d’ingénieur pour rejoindre l’équipe de Fermi, où chacun a un surnom.

 

« Le Grand Inquisiteur »

Ce sera le surnom donné à Majorana en raison de son intelligence fulgurante, ses immenses connaissances, sa prodigieuse mémoire, et  son esprit critique sans concession qui le rendent redoutable.

Il fréquente l’Institut jusqu’à l’obtention de son doctorat d’université le 6 juillet 1929 qu’il obtient avec la note de 110/110, avec les éloges qui vont avec. Son mémoire porte sur la théorie quantique des noyaux radioactifs.

Mais comment ce prodige peut-il être l’élève d’un maître qu’il dépasse en puissance et en vitesse de calcul ? Avec le temps, Ettore devient de plus en plus critique à l’égard de Fermi.

La physique théorique est son univers familier. Il écrit beaucoup, travaille énormément, mais rechigne toujours à publier, malgré l’insistance de ses professeurs.

Fermi parvient à convaincre Majorana d’aller rencontrer le physicien Heisenberg en Allemagne.

Pendant ce séjour de six mois qui débute fin janvier 1933, Le Grand Inquisiteur est fasciné par la rigueur et l’organisation allemande, sans mesurer le danger que représente la montée d’Hitler et du nazisme.

Il consent à publier dans une revue allemande de physique ses travaux sur la structure des noyaux atomiques, dans lequel il corrige et améliore le travail d’Heisenberg.

Mais quand Ettore rentre en Italie en août 1933, le jour de ses 33 ans, il n’est plus le même. Il se montre misanthrope, pessimiste et quand des scientifiques étrangers l’invitent, il refuse. Il ne veut plus quitter Rome.

Son père décède des suites d’un cancer en mars 1934. Majorana qui souffre déjà d’une gastrite, en est très affecté. Il vivra reclus, pendant un an et demi, dans la maison familiale allant du lit à sa table où il travaille et écrit beaucoup sur toutes sortes de problèmes de physique mais sans jamais rien publier.

 

Un soir de mars 1938, il s’évanouit incognito dans un mystère qui reste entier à ce jour.

A partir de 1936, il sort de sa réclusion et se remet à voyager. Il travaille d’arrache-pied à élaborer une électrodynamique quantique.

Alors qu’il est professeur de physique à Naples depuis janvier, Ettore s’embarque le 25 mars 1938, sur un navire qui fait la liaison Naples-Palerme et de ce jour-là, il disparaît. Les dernières lettres à ses proches sont énigmatiques.

« Palerme, 26 mars 1938

     Cher Carrelli,

                      J'espère que mon télégramme et ma lettre te seront parvenus ensemble. La mer m'a refusé [il mare mi ha rifiutato] et je reviendrai demain à l'hôtel Bologna, en voyageant peut-être sur le même bateau que ce mot. J'ai cependant l'intention de renoncer à l'enseignement. Ne me prends pas pour une jeune fille d'Ibsen, car mon cas est différent. Je suis à ta disposition pour des détails ultérieurs.

Ton dévoué E. Majorana »

 

Plusieurs hypothèses sont formulées.

-          Le suicide, pourtant Ettore prend soin d’emporter son passeport et de vider son compte en banque.

-          L’exil en Argentine.

-          Le refuge dans un monastère en Calabre, à la fin de l’été 1939, au su de sa famille, où il se serait éteint de maladie quelques mois plus tard.

 

Le mystère demeure.

 
"Qui l'a vu ?"

Pourquoi disparaître ?

Redoutait-il les conséquences de ses découvertes nucléaires ?

Se sentait-il définitivement inadapté au monde des humains ?

 

Selon Etienne Klein, la décision de Majorana de se mettre à l’écart du monde ou de le quitter, interroge le sens de toute existence humaine… Pour quoi être ? Et pourquoi être ici plutôt que là ?

 

Ettore Majorana a donné son nom à l’équation de Majorana et à la particule de Majorana. En 2006, le Majorana Prize est créé pour honorer sa mémoire.

 

 

Source documentaire : ouvrage « En cherchant Majorana » du physicien Etienne Klein – éditions EQUATEURS ESSAIS / Flammarion 2013

 

Merci à Virginie qui m’a fait « rencontrer » cette étoile de la science, grâce au livre d’Etienne Klein.


(
Logiciel AUREAS AstroPC Paris)

 


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