Pour fuir une existence vide de sens ce vicomte de 38 ans part vivre un an avec les Eskimos du grand Nord canadien. Loin du confort bourgeois, une vie simplifiée à l’extrême et par un froid de -40° !

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Gontran DE PONCINS
Né Jean-Pierre Gontran de MONTAIGNE de PONCINS

Le 19 août 1900 à 8h du matin au château du Palais à Civens 42 Loire
Selon acte n°5 – AD42 en ligne – 3 E668 – 2 NUM88_3 E66_8_1 – vue 6/78 via Claude Latta

 Décédé le 1er septembre 1962 à Feurs 42 Loire

 

 

Célèbre au Canada, ignoré dans son Forez natal

Chez les Eskimos, je n’ai jamais autant souffert de ma vie…

Vicomte rebelle, il part à travers le monde comme journaliste

Ce Kablouna impatient, ne fait que geindre et montrer ses doigts…

L’Esquimo prêt à partager avec d’autres, sa femme, ses chiens ou sa cache à viande…

J’avais perdu le monde, mais c’était pour me trouver moi-même…

Prendre tous les risques pour être soi

 

 

Célèbre au Canada, ignoré dans son Forez natal

La curiosité de deux touristes canadiennes et la perspicacité de l’historien Claude Latta sortent de l’oubli cet explorateur forézien, de la trempe d’un Paul-Émile Victor.

Quand les deux voyageuses d’Outre-Atlantique, parties sur les traces de Gontran de Poncins, poussent la porte de La Diana (*), pas le moindre document à leur donner. Certes, Léon de Poncins le grand-père, a été président de la Diana et depuis 2019, Étienne de Poncins est ambassadeur de France en Ukraine.

Ainsi, sur ses terres natales, rien ni personne n’a trace du vicomte Gontran de Poncins, cet ethnologue écrivain si célèbre et cher à la jeunesse canadienne.

Combler ce vide, élucider ce mystère, motivent alors Claude Latta qui, au nom de l’histoire forézienne, prospecte sur l’auteur de Kablouna, un récit à succès publié en 1941 à un million d’exemplaires en Amérique du Nord.

(*) La Diana, Société historique et archéologique du Forez, fondée à Montbrison par le duc de Persigny en 1862.

 

Chez les Eskimos, je n’ai jamais autant souffert de ma vie…

Jeune homme de bonne famille, je n’avais rien fait de bien jusqu’à l’âge de 35 ans… Il était temps de voir de quoi j’étais capable. J’ai cherché longtemps ce qui me paraîtrait le plus contraire à mon éducation et à ma nature… J’ai fini par opter pour les Eskimos. Moi, Français cultivé, habitué depuis des générations, au confort et au luxe le plus raffiné, comment pouvais-je ne pas souffrir… obligé de me nourrir de choses ignobles, ayant toujours froid sans réussir à me réchauffer ?

Gontran de Poncins revient ainsi sur son aventure chez les Inuits, lors de ses longues conversations avec Paul-Émile Victor rencontré sur une base militaire américaine pendant la Seconde guerre mondiale.

Issu d’une ascendance d’aristocrates installés en Forez depuis le 17e siècle, Gontran compte parmi ses aïeux des propriétaires fonciers, notables locaux, passionnés d’agriculture, initiateurs de l’élevage du cheval dans la plaine forézienne et du Comice agricole de Feurs.

Rien dans ce milieu fortuné et instruit ne le prédispose à vouloir s’exiler chez les nomades chasseurs du grand Nord, si ce n’est le souvenir de cet oncle Edmond, explorateur célèbre qui lui donne le goût des voyages. 

 

Vicomte rebelle, il part à travers le monde comme journaliste

Au lieu de suivre la voie tracée des grandes écoles militaires, ce vicomte rebelle préfère s’engager en 1918 comme simple soldat et son anglais l’amène dans les troupes américaines participant à l’occupation de la Rhénanie.

Puis c’est pour lui l’École des Beaux-arts de Paris et une vie un peu bohême.

En Angleterre, il tâte le monde des affaires dans une maison de soierie, mais sans grand succès.

Trentenaire, fatigué, ennuyé, désenchanté et rejeté par le monde des affaires, il se lance à travers le globe comme journaliste qui vend le récit de ses expériences aux quotidiens et magazines. Des côtes d’Afrique aux mers du Sud, le voilà lancé sur la piste de La Pérouse, puis des Caraïbes à l’Inde et à la Chine, il s’intéresse aux sociétés traditionnelles découvertes d’escale en escale en Nouvelle-Calédonie, à Bora-Bora, aux Nouvelles Hébrides ou dans un archipel panaméen.

Pendant cette période, il est coupé de sa famille qui toute sa vie se fera du mauvais sang pour lui.

 

Ce Kablouna impatient, ne fait que geindre et montrer ses doigts…

En juillet 1938, parrainé par la Société de géographie et le Musée de l’Homme, Gontran s’envole pour le Grand Nord en compagnie de l’évêque qui parcourt son diocèse en avion. Débarqué à Coppermine, c’est en bateau qu’il rejoint l’Île du Roi Guillaume, peuplée d’Inuits.

C’est pour lui le début de l’âge de glace, le royaume du froid où la température descend jusqu’à -48° ! 

J’ai vu geler la mer écrit cet aventurier-ethnologue.

A pied, en traîneaux à chiens, il accompagne les mouvements saisonniers des Eskimos, d’un camp de chasse à l’autre.

Nomade et chasseur de poissons, phoques, ours blancs, caribous, renards, l’eskimo est poussé par la nécessité de se remplir le ventre et celui de ses chiens, au rythme des saisons qui commandent sa marche.

Mais ces indigènes ne manquent pas de se moquer :

Le Blanc – qui ne sait même pas construire un iglou - est tout juste bon à se traîner sur sa couchette, ne faisant que geindre et montrer ses doigts…

Au diable ce Kablouna (le Blanc) qui veut toujours arriver et pose des questions auxquelles il est superflu de répondre !

 

L’Esquimo prêt à partager avec d’autres, sa femme, ses chiens ou sa cache à viande…

La morale esquimaude, conforme à sa vie matérielle, est la plus dure qui soit. Le partage et l’hospitalité vont de soi. L’homme le plus considéré sera celui qui aura donné le plus de richesses. Après le don, on ne remercie pas ! On ne juge pas les paresseux ou les incapables : c’est comme ça !

Par nécessité, il est communiste ; non pas forcément charitable, mais prêt à partager tout ce qu’il a… Il est sans cesse préparé à partager avec d’autres sa femme, ses chiens ou sa cache à viande…

Le départ à lui seul est un spectacle. Les traineaux sont hauts comme des maisons, les chiens aboient et s’étranglent, il faudra pousser les charges à grands coups d’épaules. Les femmes courent en avant et excitent les bêtes par tous les artifices possibles, tandis que les vieilles ficelées sur la charge, geignent dans leurs vieux os. Une fois partis, c’est un perpétuel affairement…

Au cœur de l’iglou, Gontran de Poncins, pourtant bourlingueur rôdé, doit s’adapter à un mode de vie hors de son commun et de sa culture.

J’ai l’impression d’être dans une cage avec des fauves. Ils sont là dans mon igloo qui rotent avec de gros rires, ramassent un bout de poisson qui traîne à terre – notre nourriture et celle des chiens –… et recrachent les arêtes droit devant eux.

 

J’avais perdu le monde, mais c’était pour me trouver moi-même…

Au bout d’un an chez les Inuits, Gontran de Poncins rentre par le détroit de Béring. Ce périple maritime impressionnant dure deux mois, entre icebergs, brume, tempête et peur de se perdre.

Les 1200 pages de notes quotidiennes qu’il rapporte, permettent la publication de Kablouna. Ce livre traduit six ans plus tard en français, est d’emblée considéré comme un chef d’œuvre de la littérature polaire. Promu avec succès par le groupe Time, il est vendu à 2 millions d’exemplaires.

Cet ethnologue, qui s’est fait Inuit parmi les Inuits, juge cette expérience :

Comme un religieux... J’avais perdu le monde mais c’était pour me trouver moi-même : j’avais échangé le clinquant contre l’or… Et il avait fallu l’Arctique pour me le révéler. A travers les rides et les couches de gel de mon visage, un autre visage s’était lentement fait jour : le vrai, sous lequel Dieu a voulu que tous les hommes se montrent les uns aux autres ; et contre ce visage-là, le blizzard et l’adversité ne pourraient rien.

A son retour le château familial saccagé par les Allemands est abandonné et vendu à la ville de Feurs en 1957.

Gontran de Poncins qui a pris ses distances avec son milieu d’origine, se marie à 59 ans avec Gilberte Guimard et passe sa fin de vie en Provence, à Cotignac.

 


Intérieur d’un iglou – source : Kablouna de Gontran de Poncins – voir ci-dessous l’inventaire d’un iglou

 

 

 

Prendre tous les risques pour être soi

La nécessité d’explorer le monde des humains et son propre monde intérieur s’impose à Gontran de Poncins.

Se jauger, se juger, mesurer ses capacités et sa valeur jusqu’aux limites extrêmes, tel est le défi qu’il porte en lui. (Mars-Neptune MC, carré asc.)

 Prendre le risque de disparaître pour être, convient à cet orgueilleux Lion associé à la Vierge humble et servante tentée par l’infériorité et la perfection.

Cela lui permet aussi l’art de faire synthèse immédiate tout en soignant le détail pratique : voilà des atouts précieux pour qui veut être bourlingueur indépendant et débrouillard partout.

Ainsi, il voit tout d’un seul coup d’œil et sait le mettre par écrit avec précision.

 Cet original humaniste dans l’âme est aussi un convivial qui sait écrire et  transmettre ses connaissances. (Mercure trigone Uranus-Jupiter)

 Ne pouvant se plaire dans un confort fortuné et conventionnel, il a besoin d’affronter tous les dangers, d’aller aux pires conditions pour être meilleur et serein.

 Aller explorer l’inconnu le plus extrême plaît à cet extrémiste attiré par le hors normes et le jamais vu, au risque d’échouer et d’y laisser sa vie.

 

Pour lui-même et pour les humains, Gontran de Poncins a retrouvé le Nord dans le grand Nord canadien.

Un étonnant parcours de vie qui fait encore trace aujourd’hui.

 

 

 Merci à l’historien Claude Latta pour ce signalement.

 


(
Logiciel AUREAS AstroPC Paris)

 

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