Figure du féminisme et de la libre-pensée, cette philosophe et scientifique rédige la première traduction en français de l’ouvrage de Charles Darwin « L’Origine des Espèces ».

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Clémence ROYER
Née Clémence Augustine AUDOUARD reconnue par Augustin René ROYER

Née le 21 avril 1830 à 5h du matin à Nantes 44 Loire-Atlantique
Selon acte n°286 – Archives Municipales de Nantes en ligne – 1 E 548 – 3e et 4e cantons – 1830 – vue 52/199

Décédée le 6 février 1902 à Neuilly-sur-Seine 92 Hauts-de-Seine

 

 

 

 

Gouvernante chez les nobles, elle s’y instruit en autodidacte.

Issue d’une famille catholique royaliste et placée dès 10 ans dans un couvent au Mans, elle reçoit une éducation religieuse.

Orpheline de père à 19 ans, pour gagner sa vie elle devient gouvernante dans des familles bourgeoises où elle se forme en autodidacte en lisant les ouvrages des bibliothèques de ses employeurs.

Philosophie, anthropologie, économie politique, biologie la passionnent.

A 30 ans, elle s’installe en Suisse près de Lausanne où elle donne des cours de logique mathématique. Elle fait la connaissance de l’économiste et homme politique Pascal Duprat avec qui elle vivra en union libre.

En 1863, avec Proudhon, elle obtient le 1er prix d’un concours sur le thème de la réforme de l’impôt et de la dîme sociale.

Première femme admise à la Société d’Anthropologie de Paris fondée par Paul Broca, elle y présente de nombreuses communications et y défend ses positions originales et révolutionnaires.

Elle milite avec conviction pour l’instruction des femmes et pour développer la philosophie populaire. C’est ainsi qu’en 1881, elle fonde la Société des études philosophiques et morales qui deviendra une école mutuelle de philosophie.

 

Considérant avec méfiance les socialistes utopistes, elle déclare :

pas d’utopie ni de rêve, mais un savoir réel des choses.

Elle collabore au Journal des femmes et à La Fronde avec Marguerite Durand.

Elle est co-fondatrice de la première obédience maçonnique mixte, Le Droit humain. Elle est décorée de la Légion d’honneur en 1900.

 

 

Traductrice de l’œuvre de Darwin, elle y développe ses propres idées

Charles Darwin, naturaliste anglais dont les travaux sur l’évolution des espèces vivantes révolutionnent la biologie, est impatient de voir son ouvrage De l'origine des espèces, traduit en français.

Clémence Royer se voit confier cette première traduction française, sans que l’on sache précisément comment ce choix a été fait. Elle connaît bien les écrits de Lamarck et Malthus et mesure l’importance de l’ouvrage de Darwin.

Outrepassant largement son rôle de traductrice, elle ajoute une préface où elle livre son interprétation personnelle de l’ouvrage ainsi que des notes de bas de page où elle commente le texte du naturaliste. Sa préface est un pamphlet dédié au triomphe de la science sur l’obscurantisme religieux. Elle y développe aussi ses idées eugénistes (sélection génétique visant à la perfection d’une race). C’est ainsi qu’elle en modifie le titre : De l'origine des espèces ou des lois du progrès chez les êtres organisés. Cet intitulé met en avant l’idée d’une évolution des espèces qui tend vers le progrès, plus proche de la théorie de Lamarck que des idées développées par Darwin.

 

Les appréciations critiques de Darwin à l’égard de cette traduction.

Après avoir reçu un exemplaire de cette traduction française, Darwin écrit au botaniste américain Asa Gray :

J’ai reçu il y a deux ou trois jours la traduction française de L'Origine des espèces par Mlle Royer, qui doit être une des plus intelligente et des plus originale femme en Europe : c’est une ardente déiste qui hait le christianisme, et qui déclare que la sélection naturelle et la lutte pour la vie vont expliquer toute la morale, la nature humaine, la politique, etc. !!! Elle envoie quelques sarcasmes curieux et intéressants qui portent, et annonce qu’elle va publier un livre sur ces sujets, et quel étrange ouvrage cela va être. » (Lettre de Ch. Darwin à Asa Gray du 10-20 juin 1862)

En juillet  1862, Darwin fait part de ses doutes au zoologiste Armand de Quatrefages :

J’aurais souhaité que la traductrice connaisse mieux l’histoire naturelle ; ce doit être une femme intelligente, mais singulière ; mais je n’avais jamais entendu parler d’elle avant qu’elle se propose de traduire mon livre. 

Insatisfait des notes de bas de page de Clémence Royer, le 11 septembre 1862, il écrit au botaniste anglais Joseph Hooker :

Presque partout dans L'Origine des espèces lorsque j’exprime un grand doute, elle ajoute une note expliquant le problème ou disant qu’il n’y en a pas ! Il est vraiment curieux de voir quelle sorte de vaniteux personnages il y a dans le monde…

En 1867, le jugement de Darwin à l’égard de la traductrice se fait nettement plus négatif :

L’introduction a été pour moi une surprise totale, et je suis certain qu’elle a nui à mon livre en France. (cité par D. Becquemont in Ch. Darwin, L’Origine de espèces, éd. Flammarion-GF, 2008)

L’enthousiasme de Clémence Royer pour l’œuvre de Darwin est l’un des multiples exemples du fait que ses idées deviennent populaires en cette deuxième moitié du 19e siècle moins pour leur valeur scientifique que parce que le « Darwinisme » vient justifier et légitimer la métamorphose socio-économique induite par l’éclosion du capitalisme industriel.

 

Voici un écho de la vie de cette scientifique au tempérament viril, qui se fait ardente militante de l’autonomie et de la liberté des femmes.

Son esprit conquérant et révolutionnaire lui fait traverser son temps à contre-courant, avec des idées philosophiques bien ancrées qui l’amènent à « commenter » Darwin tout en le traduisant, trouvant dans ce livre l’occasion d’une sorte de « tribune » pour diffuser sa conception hardie de l’évolution des espèces.

Sa curiosité naturelle et sa détermination personnelle lui permettent de s’instruire en autodidacte avant de porter à son tour la connaissance aux autres par l’enseignement.

 

 


(
Logiciel AUREAS AstroPC Paris)

 


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